Le 18 août 2021 a eu lieu la première session d’évaluation par l’ONU de la politique handicap française. Le débat a porté sur les articles 1 à 10 de la convention internationale des droits des personnes handicapées. Lors de leur propos liminaire, Claire Hédon, la défenseure des droits, Magali Lafourcade, de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, et Jonas Ruskus, le rapporteur pour la France du comité des droits des personnes handicapées de l’ONU, ont souligné que malgré certains progrès beaucoup de chemin reste encore à parcourir pour instaurer une société plus inclusive et plus en adéquation avec la convention internationale ratifiée par la France en 2010.
Ils ont ainsi déploré le retard pris par la France dans beaucoup de domaines en raison d’une approche toujours trop médicale inspirée de la définition donnée au mot handicap dans la loi de 2005. Ils ont aussi dénoncé le manque de formation des acteurs de la justice, de la culture, des loisirs, etc. et préconisé la mise en œuvre d’une campagne de grande ampleur afin de combler ces préjugés. Ils ont encore regretté le refus, parfois, de mettre en place des aménagements raisonnables, que la législation française n’ait pas toujours été mise en conformité avec la convention et souligné que des discriminations peuvent se cumuler, notamment concernant les femmes parfois doublement exclues. Ils ont aussi mis en avant le conflit d’intérêt des associations gestionnaires dont l’influence politique apparaît trop importante au regard des organisations représentatives des personnes handicapées.
Ensuite, plusieurs membres du comité des droits, représentant les Etats partis, ont posé des questions concernant ces articles en soulignant que les avancées étaient trop peu nombreuses depuis la dernière évaluation en 2016. Ils ont notamment pointé la baisse de l’obligation de logements accessibles à bâtir, la nécessité d’améliorer l’accessibilité numérique et les mesures qui s’imposent pour mieux prendre en compte la situation des femmes handicapées ainsi que des personnes souffrant de troubles autistiques. Ils ont encore interrogé le fonctionnement du Conseil national consultatif des personnes handicapées et souligné le besoin d’améliorer la représentation et la prise en compte de la parole des représentants des organisations de personnes en situation de handicap dans toutes les instances représentatives.
A la suite de ces questions qui reprennent plusieurs éléments pointés dans notre rapport alternatif (gouvernance du CNCPH, accessibilité numérique, nécessaire formation de la société au handicap, situation des femmes handicapées), la Secrétaire d’Etat en charge des personnes handicapées, Sophie Cluzel et d’autres membres des ministères, ont plus dressé un état des lieux et détaillé l’action gouvernementale de ces dernières années, que répondu sur la façon dont certains enjeux insatisfaits seraient politiquement mieux intégrés pour obtenir des résultats tangibles à court terme.
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Le 20 août 2021 s’est déroulée la deuxième réunion. La délégation française a pu apporter des réponses complémentaires aux questions posées concernant les articles de 1 à 10 de la convention des droits des personnes handicapées.
Même si ce sont des éléments nécessaires et qui vont en faveur des personnes en situation de handicap, une nouvelle fois, on peut regretter que la délégation française n’ait fait que rappeler les mesures prises d’ordre général (mise en place de numéro d’appel concernant les violences faites aux femmes en situation de handicap, création de plateforme ou de commission contre les discriminations etc.). Amalia Garrio, membre du comité des droits, s’est ainsi étonnée des réponses de la délégation qu’elle trouvait très éloignées des éléments apportés par les rapports alternatifs. Sophie Cluzel a rappelé le lancement en octobre d’une grande campagne de sensibilisation sur le handicap. D’autres membres de la délégation française, comme Céline Poulet, secrétaire générale du Comité Interministériel du Handicap, ont parlé de la double discrimination dont souffraient les femmes. Marc Salvini a expliqué que sur les 25 cas de discriminations prévus par le code pénal, 3 sont en lien avec le handicap mais que la législation ne prévoit pas d’aggravation de la peine en cas de double discrimination et que le refus d’aménagement raisonnable ne figure pas dans les 25 cas alors qu’il s’agit d’une discrimination. La délégation française a aussi reconnu l’absence de statistiques concernant les élèves ainsi que les élus handicapés. Plusieurs des points soulevés lors de cette réunion font parties des recommandations écrites dans notre rapport alternatif (double discrimination des femmes, besoin de statistiques et d’aménagement raisonnable concernant les élèves en situation de handicap, nécessité de mener une campagne de sensibilisation des citoyens sur le handicap et leur favoriser la participation à la vie politique).
A la suite de cette première partie, les membres du comité ont posé des questions concernant les articles de la convention allant de 11 à 20 pointant notamment les problèmes concernant l’accès à la justice. La présidente a ainsi souligné le besoin pour les personnes en situation de handicap de disposer un choix libre et éclairé pour choisir leur lieu de vie et ne pas devoir aller dans une institution.
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La troisième et dernière session de l’évaluation de la France par le Comité onusien sur les Droits des Personnes Handicapées s’est déroulée le lundi 23 août 2021. Elle portait sur les articles 21 à 33 de la Convention Internationale sur les Droits des Personnes Handicapées. Comme lors des deux autres sessions, les membres de la délégation française ont simplement mis en avant les quelques avancées réalisées par le gouvernement français depuis le début de la présidence d’Emmanuel Macron. Si les membres du comité ont entendu et salué ces progrès, ils ont à nouveau souligné de nombreux manquements en questionnant la France notamment sur la mise en accessibilité des événements politiques et publics organisés par la France, de la prochaine campagne électorale présidentielle, le besoin de développer l’apprentissage du braille chez les personnes déficientes visuelles, de reconnaître le statut professionnel des interprètes de la langue des signes française.
La délégation française a présenté les progrès réalisés concernant les aménagements raisonnables dans l’enseignement supérieur notamment dans l’accueil dans l’établissement, le fait d’avoir un temps majoré, une plateforme permettant aux enseignants de mieux évaluer les besoins des élèves concernant l’aide humaine ou pédagogique. Malgré ces mesures, nous demandons dans notre rapport de rendre inopposable par le corps enseignant le plan de compensation préconisé par la médecine universitaire et/ou la cellule handicap. De plus, si le ministère de l’enseignement supérieur communique, pour chaque formation, les effectifs d’étudiants handicapés par grade annuel, celui de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports ne communique pas publiquement cette donnée par grade annuel depuis la petite section de maternelle jusqu’à la fin des études secondaires ce qui ne permet pas d’apprécier réellement les situations (taux de redoublement, de décrochage, etc.). La délégation française a annoncé la prochaine diffusion d’un rapport sur ces chiffres suite à une enquête de 2018.
Suite aux questions posées par les membres du Comité, la délégation française a reconnu que la présence des personnes avec un handicap visible n’était pas assez importante parmi les élus de la république ou à la télévision. Ainsi, des incitations ont été faites en vue des prochaines élections présidentielles et une charte a été signée pour avoir une plus grande représentation dans les médias français. Sur ces thématiques concernant l’accessibilité et la participation à la vie politique et publique, nous avons demandé dans le rapport alternatif que nous avons rédigé que des mesures soient prises pour favoriser les candidatures des personnes handicapées et la mise en accessibilité des prochaines campagnes électorales afin d’assurer une participation la plus large possible, des personnes handicapées, quel que soit leur handicap, dans toutes les instances associatives, publiques et politiques.
Concernant l’accès à l’emploi, Sophie Cluzel a notamment parlé du rapprochement du pôle emploi et du cap emploi afin de créer un guichet unique et de sa volonté de lever les obstacles existants actuellement notamment dans le passage entre l’emploi accompagné et le milieu ordinaire.
Dans leur conclusion, Claire Hedon, défenseuse des droits, Magali Lafourcade de la commission nationale consultative des droits de l’homme et Jonas Ruskus, rapporteur du comité pour l’évaluation de la France, ont tous souligné que malgré certains progrès opéré par la France, il y avait beaucoup de chemin à parcourir pour rendre sa société plus inclusive et réduire la discrimination dont souffrent les personnes handicapées : améliorer l’accès aux droits, à l’éducation et à l’emploi, l’accessibilité des bâtiments, du numérique et des transports etc. comme le prévoit la convention que la France a ratifiée depuis maintenant un peu plus d’une décennie.