Je m’appelle Frédéric, j’ai 22ans et je viens de Strasbourg. Je suis atteint d’une infirmité motrice cérébrale due à un accident à la naissance. Je suis actuellement étudiant en Master I du Parcours Grandes Ecoles à l’Ecole de Management Strasbourg.
1/ Présentation du handicap
Je suis atteint d’une infirmité motrice cérébrale due à un accident à ma naissance. Mon infirmité se répercute sur mes quatre membres. Je peux me déplacer à pied sur de courtes distances, mais pour des raisons de facilité et de rapidité, j’utilise aussi un fauteuil électrique ou manuel suivant les cas. Au niveau des membres supérieurs, je ne peux pas écrire à la main. Depuis l’école primaire, l’outil informatique m’est d’une grande aide. Mon handicap se répercute aussi sur ma bouche et il est parfois un peu difficile de me comprendre. Mon élocution est mon plus gros handicap dans ma socialisation, même si la majorité des personnes me comprennent relativement bien. Depuis une année, grâce à des auxiliaires de vie, j’ai pu m’installer dans mon propre logement derrière l’école. Au-delà du côté pratique de part la proximité avec l’école c’est, une fois de plus, une formidable victoire sur mon handicap. C’est vraiment un sentiment de liberté et d’autonomie.
2/ Scolarité
J’ai eu la chance de faire toute ma scolarité en milieu ordinaire. Grâce au combat et au soutien de mes parents, j’ai toujours pu m’intégrer parmi les autres élèves. Durant de nombreuses années, j’ai été accompagné en cours d’une auxiliaire de vie scolaire.
Mon parcours n’a pas toujours été très simple.
Lorsque mes parents se sont installés dans notre village et que les trajets jusqu’à Strasbourg se faisaient longs, j’ai pu intégrer l’école du village. C’est là que j’ai été pour la première fois confronté à la réalité de mes autres camarades.
Être différent dans une petite école de 85 enfants n’est pas toujours évident, surtout quand les enseignants ne sont pas toujours de votre côté.
Par exemple, quand on se moquait de moi dans la cour de récréation, les enseignants me disaient simplement d’aller jouer ailleurs. Avec du recul, c’est vrai que ça ne servait à rien d’aller toujours se plaindre, mais quand on est enfant, ce n’est pas toujours évident de se défendre seul.
Deux anecdotes me viennent à l’esprit. La première, lors d’une journée de prévention à la sécurité routière, les gendarmes étaient venus et avaient organisé un parcours pour les vélos, parcours que j’ai fait avec mon tricycle. Les gendarmes m’avaient placé à la deuxième place faisant valoir le fait que certes je n’avais pas de problème d’équilibre, mais que malgré mes roues plus larges, je n’avais fait tomber aucun plot. Certains élèves en ont fait un tollé qui a été relayé par les enseignants auprès des gendarmes, au lieu d’en faire peut-être un objet pédagogique.
Le deuxième exemple, malgré le fait que j’étais déjà à l’école depuis deux ans, le directeur a choisi pour la sortie de fin d’année un château avec plusieurs centaines de marches à gravir. Face à l’insistance de mes parents pour que je puisse y participer, le directeur à menacer d’annuler toute la sortie. Alors sans vouloir me mettre au centre des décisions, je pense tout de même qu’il existe bon nombre d’idées d’excursions pour une classe de CM2 et adaptées aux personnes handicapées.
Mais l’un dans l’autre, j’ai également passé de très bons moments dans cette école. Aujourd’hui encore, il m’est important de pouvoir dire que je suis allé à l’école de mon village, dans lequel d’ailleurs j’habite encore aujourd’hui.
La suite au collège était plus simple sur certains plans et plus difficile dans d’autres.
Le collège apporte de nouvelles contraintes, surtout au niveau des déplacements, ce qui n’était pas toujours évident à gérer, notamment en 6ème où j’ai dû partager mon auxiliaire avec un autre élève en situation de handicap.
Nous étions 2 jeunes de 6ème dans la même classe et avions à peu près le même planning.
Pour la sixième, nous avons raté un tournant, à savoir que les exigences n’étaient pas du tout les mêmes.
Je veux dire par – là que nous avons raté un passage. Quand je dis nous, je veux dire que ce jeune de 6ème que j’étais et son camarade ne portent pas la responsabilité exclusive de ce qui s’est passé. L’ensemble des acteurs qui ont travaillé, et finalement, contribué à notre intégration au collège auraient dû penser que tout simplement les exigences de l’école primaire ne sont pas du tout les même qu’à l’école primaire.
A commencer par un exemple banal, au collège on change de salle presque à chaque heure de cours, ce qui impliquait pour l’auxiliaire deux sacs à ranger et deux personnes handicapées à rhabiller et à installer dans les fauteuils. Ces contraintes n’étant pas présentes en primaire, nous étions tous deux plus autonomes. Oui, çà paraît trivial, mais à l’époque personne n’a réalisé que le collège apportait toutes ces exigences supplémentaires et que nos besoins respectifs allaient évoluer. En fait, nous étions autonomes aux mêmes moments et avions besoin d’aide en même temps
Mais quand nous arrivions en début de cours et qu’il fallait nous installer, c’était un peu compliqué. Mutualiser les moyens ? Je n’ai rien contre… mais il faut bien réfléchir comment.
Par ailleurs j’ai éprouvé quelques difficultés liées à la forme parfois prise par l’apprentissage. Ainsi au collège, ne pouvant pas écrire à la main, les maths étaient plus difficiles.
Mais j’ai aussi vécu de très belles expériences au collège. Par exemple, nous avons pu participer (moi et deux autres élèves handicapés) à un voyage à Venise. C’est tout de même à souligner que les professeurs ont eu le courage de s’engager dans cette aventure avec nous.
Le lycée par contre était ma meilleure période. Durant trois ans, j’ai travaillé avec un très bon auxiliaire de vie scolaire. Notre binôme m’a permis de mener mes études dans les meilleures conditions et d’obtenir mon bac ES avec une mention bien. Suivant les années, je ne m’organisais pas de la même façon avec mes auxiliaires. Leur rôle est assez délicat. D’une part, parce qu’il faut trouver sa place en tant qu’adulte dans une classe de trente enfants ou adolescents. D’autre part, par rapport à l’élève qu’on accompagne, il s’agit de trouver le juste milieu entre l’aider quand il en a besoin mais sans trop en faire. Mon auxiliaire au collège faisait beaucoup au début, et avec le temps, elle voulait que je fasse de plus en plus, ce qui n’était pas toujours une bonne chose. Nous étions parfois même opposés car je lui demandais de l’aide là où elle estimait que je n’en avais pas besoin. Elle acceptait tout de même de prendre mes cours en note, ce qui m’évitait de devoir imprimer tous mes cours.
Les professeurs jouaient aussi un rôle important. Certains de mes professeurs pensaient me faire évoluer aussi bien sur la matière en elle-même mais aussi dans mon autonomie vis-à-vis des mon handicap. Avec du recul, je pense que cela partait d’un bon sentiment. Mais par moment, j’avais l’impression que cela se faisait au détriment de mon apprentissage à proprement parlé. Je pense notamment à une enseignante en maths qui avait tout fait pour que je puisse faire de la géométrie par informatique. Mais pour avoir fait le test, même une personne valide prenait deux fois plus de temps. Personnellement, j’étais dans une position un peu délicate, d’un côté je voulais gagner en autonomie et éviter qu’on puisse me dire que je me laisse aller, mais de l’autre j’ai aussi beaucoup galéré.
Au lycée, comme je l’ai déjà évoqué, beaucoup de choses allaient mieux. J’ai eu pendant trois ans un jeune homme avec qui j’ai pu construire une complicité sans égale, dans le relationnel mais aussi dans le travail. Il m’a tout de suite aidé là où j’en avais besoin. Lui dicter les exercices dans les matières scientifiques n’a même pas fait débat. En un semestre, ma moyenne a augmenté de sept points, c’est dire que parfois il vaut mieux aider un peu plus pour que l’élève puisse se concentre sur l’essentiel. Cet auxiliaire m’a aussi aidé à construire un relationnel avec mes camarades. A l’époque, j’étais encore assez renfermé. Aussi, notre binôme marchait tellement bien qu’on nous appelait les « inséparables ». Et ce, pas parce qu’on ne pouvait pas se passer l’un de l’autre, mais au contraire parce que mon auxiliaire avait trouvé sa juste place et que souvent en cours, un simple regard suffisait à se comprendre et à être efficace.
Le bac était un énorme défi et je l’ai eu.
Depuis quatre ans maintenant, je fais des études en management. J’ai d’abord préparé un DUT Gestion des Entreprises et Administration puis je suis entré à l’Ecole de Management où je suis actuellement en deuxième année.
Depuis mon bac, je n’ai plus bénéficié d’auxiliaires de vie pour les cours. La première année de DUT a été relativement difficile mais m’a énormément apporté. J’ai pu gagner en autonomie. On s’aperçoit qu’une fois devant le fait accompli, on développe de nouvelles compétences pour devenir autonome. Pour acquérir cette autonomie j’ai réussi à mettre en place différentes choses. En commençant par des petites choses toutes bêtes. Je perdais par exemple du temps à chercher une prise électrique pour recharger mon ordinateur. Un collègue de ma maman électricien m’a alors monté un chargeur d’ordinateur sur mon fauteuil électrique ce qui m’a permis de recharger mon ordinateur avec mon fauteuil. Idem, pour porter mon plateau à la cantine, on m’a fabriqué une tablette pour poser le plateau sur mon fauteuil.
En cours, j’avais déjà une bonne expérience du lycée. Mon auxiliaire de l’époque m’a encouragé d’apprendre à prendre des notes à l’ordinateur sans écrire mot pour mot ce qui m’a permis de développer un esprit de synthèse, ce qui m’a beaucoup aidé. Le plus dur était les matières scientifiques. En comptabilité et en finance, j’ai beaucoup développé Excel. Quand le professeur donnait des nouveaux modèles de tableaux en polycopiés à remplir, je refaisais tous les tableaux sur Excel pour pouvoir travailler dessus. Mais une fois que j’avais tous les modèles de tableaux, je pouvais faire des copiés-collés. En mathématiques, j’ai découvert les outils d’équation sous Word. Comme j’ai du mal à utiliser la souris, j’ai appris à créer des macros avec des raccourcis claviers. Tout cela prend pas mal de temps, mais ça vaut le coup. J’ai très tôt compris que je travaillais ni pour mes parents, ni pour mes professeurs, mais pour moi. Et à partir de là, aucune heure de travail n’était en trop ! C’est comme un chef d’entreprise, si tu veux faire tourner ton truc, il faut faire des concessions, même si c’est difficile. Mais l’expérience m’a aussi appris que l’énergie d’un corps humain est limitée, surtout en situation de handicap. A partir de là, il faut parfois choisir. Dans certains cas, on aura évidemment toujours besoin d’aide. D’une part car personne « ne se fait tout seul », malgré ce que disent certains, et d’autre part, je préfère me faire aider pour fermer mes lacés et avoir un quart d’heure de plus pour réviser que de fermer seul mes chaussures mais d’avoir mis une demi-heure. Je suis aussi passé par des phases où je voulais tout faire seul. Mais j’ai très vite appris le sens du mot « efficacité ». Et je pense que si je ne me laissais pas aider, je ne pourrais pas faire tout ce que je fais.
3/ Études suivies
Les études en école de commerce, comme dans les autres filières, ne sont pas simples.
Au niveau des adaptations, j’ai toujours bénéficié du tiers temps et de l’ordinateur. Le tiers temps n’a pas toujours été simple à organiser et il a souvent fallu le demander à plusieurs reprises pour l’obtenir. Aussi, même si la situation s’améliore d’année en année, il n’a pas toujours été évident de se faire une place parmi les autres. J’ai toujours parié sur le fait de tout expliquer et lever tous les tabous vis-à-vis de mon handicap et du handicap en général.
Mais le handicap fait parfois encore peur. Aussi, à l’EM Strasbourg, je me suis beaucoup investi dans le bureau de la diversité, notamment sur la question du handicap, en organisant différentes actions autour de ce thème.
Depuis deux ans, le handicap a vraiment sa place à l’EM Strasbourg. Nous sommes deux étudiants en situation de handicap et nous sommes vraiment très bien intégrés à tous les niveaux. Le handicap et plus largement la diversité font partie des valeurs de l’école. Je suis notamment membre du bureau de la diversité qui œuvre beaucoup sur la sensibilisation au handicap.
Nous organisons notamment les journées Handivalides en partenariat avec l’association Starting Block et l’Université de Strasbourg. Notre intégration passe aussi par le fait que nous sommes connus de tout le monde et personne n’hésite à parler ou évoluer avec nous. Les fauteuils roulant par exemple font tout simplement partie du paysage à l’EM Strasbourg.
Après il y a tout de même des bémols, par exemple au début de ma scolarité à l’EM je cherchais quelqu’un pour m’aider quotidiennement à la cantine mais je n’ai trouvé personne. Mais je pense que c’est notamment dû au fait qu’à midi beaucoup d’étudiants mangent rapidement, pas toujours au même endroit, et que cela peut faire peur de s’engager sur l’année et quotidiennement.
Ici, un point me vient à l’esprit. Je pense que l’entraide des autres étudiants peut être occasionnelle et informelle. Mais sur le long terme, il faut absolument une solution durable et viable. Cela peut passer soit par des professionnels de l’aide humaine (auxiliaire) ou un contrat d’assistant d’étude mais on ne peut pas compter éternellement sur le bénévolat des copains, surtout pour une aide quotidienne. C’est également une question de relationnel, les autres étudiants sont avant tout nos amis, il faut avoir en premier lieu une relation d’étudiant à étudiant. Après les exceptions existent ; en IUT un ami que j’avais connu au lycée m’a aidé pendant deux ans à la cantine. Mais par expérience et pour les raisons que j’ai citées avant, ce n’est pas la meilleure solution.
4/ Vie professionnelle
Mon cursus a bien sûr été ponctué de différents stages.
J’ai eu différentes expériences plus ou moins bonnes. Pour n’en citer que quelques-unes, lors de mon stage de première année de D.U.T. dans un service comptable, on m’a demandé de prendre des notes sur un calepin, ce que je ne pouvais faire. Certaines personnes s’étonnaient qu’on puisse faire de grandes études sans pouvoir écrire à la main. En plus, durant trois jours, tous mes collègues croyaient que j’étais sourd à cause de mon élocution, ils avaient fait le rapprochement avec un autre collègue qui avait un handicap auditif. D’où l’importance à mes yeux de communiquer sur son handicap. Je n’en ai à aucun moment tenu rigueur à mes collègues ; ils ne me connaissaient pas, c’est normal.
Mais j’ai aussi eu de très bonnes expériences. Par exemple, souvent mes collègues de travail n’hésitent pas à m’aider lors des repas à la cantine. Au niveau de mon avenir professionnel, je souhaite m’orienter vers le domaine médico-social. Même si au début de mes études, j’avais plutôt un profil comptable, le management dans le social me paraît plus riche et s’inscrit également dans mon parcours personnel et bénévole.
5/ Loisirs
En dehors de mes études, je suis aussi très actif au niveau associatif. Je suis bénévole à l’Association des Paralysés de France. Mon activité s’articule autour de deux axes. D’une part, je suis coordinateur d’un groupe de jeunes dans le Bas-Rhin. Nous sommes une vingtaine de jeunes, souvent issus de foyers. Avec d’autres bénévoles valides, nous essayons d’organiser des sorties loisirs (Ciné, repas, piscine, etc…). Je trouve très enrichissant de pouvoir apporter un peu de plaisir à des personnes qui ne sortent pas beaucoup de leur structure. D’autre part, je suis représentant régional des jeunes de l’APF. A ce titre, je siège notamment à la Commission nationale politique jeunesse. Nous avons un rôle politique dans l’association et cherchons également à travailler avec d’autres associations.
Par ailleurs, je fais aussi de la natation handisport. Je suis compétiteur au niveau régional.
6/ La FÉDÉEH
Beaucoup de personnes en situation de handicap ne travaillent pas. J’aimerais rencontrer et échanger avec d’autres étudiants et jeunes actifs en situation de handicap. Afin de compléter mon activité à l’APF, je souhaite travailler avec la FÉDÉEH. Je pense que laFÉDÉEH a beaucoup à apporter au monde du handicap. En effet, d’une part parce qu’elle est constituée de jeunes dynamiques et d’autre part parce que justement nous sommes tous intégrés dans le milieu ordinaire et travaillons.
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